Du changement dans l'air


Je ne suis pas un expert en analyse politique. Je ne suis un expert en rien en fait. Juste quelques compétences en développement logiciel. Je suis donc fébrile en écrivant ces lignes car je n’aime pas disserter sur des sujets que je ne maîtrise pas. Mais en cette fin d’année 2016, c’est le trop plein. Une évidence, un constat qui saute aux yeux et dont je ne retrouve pas l’explication sur le web parmi ces éminences grises qui analysent, commentent, décortiquent… toujours et encore… si brillamment. Alors, avec mon non-style et sans envolée lyrique, je vais essayer de partager “mon” sentiment enfin, plutôt celui que j’ai construit au fil des mois en discutant autour de moi et en surfant sur le web. Discours pas toujours bien construit mais j’espère que j’aurai fait passer quelque chose.

Le constat général #

Je ne vais pas vous faire un dessin. Côté politique, c’est le joyeux foutoir. Même les instituts de sondage avec les meilleurs analystes parmi les analystes se plantent lamentablement. Trump vs Clinton ? fail. Primaire de droite ? fail. Premier tour présidentielle 2017 en mars prochain ? Ben… ils ne se prononcent plus car ils ont la trouille d’un autre beau et gros fail. Côté entreprise, idem. Des syndicats plus du tout représentatifs et de grandes entreprises qui se croient à l’âge des cavernes avec un grand chef qui écrase des sous-chefs, qui eux-mêmes tapent sur des sous-sous-chefs, (etc…), qui eux-mêmes donnent des ordres incompréhensible à la base qui se tape le boulot. Côté fonction publique, même topo avec une base en manque de reconnaissance et des bureaucrates qui pondent des réformes tarabiscotées impossibles à appliquer sur le terrain. Toujours, ce petit chef, dans son bureau, qui joue de son petit pouvoir. Et au milieu, noyé dans la masse, ce prof, ce policier, cette infirmière ou cette auxiliaire de puériculture, qui essaie de faire différemment mais qui se garde bien d’en parler à sa hiérarchie pour pouvoir continuer. Même à l’international, la révolte gronde et là où les pyramides autoritaires régnaient sans partage, les peuples se rebiffent. Printemps arabe, Syrie…

Que se passe-t-il donc dans l’air du temps ? Pourquoi les peuples sont-ils devenus si imprévisibles ? Les élites politiques et médiatiques ne savent plus quoi inventer et nous rabâchent la même tambouille : “nous changeons d’époque”, “vous comprenez, Internet a bouleversé les codes”, “les politiques déçoivent et déçoivent encore faisant le jeu des populismes”. Mouais… mais sinon l’analyse détaillée ? Le pourquoi profond. Ultra connecté, à l’écoute de tous les médias de référence, je n’ai pas encore clairement entendu une explication sur les détails de ce changement qui semble de dimension planétaire.

“Mon” constat #

Avant de m’essayer aux commentaires, voici quelques petites histoires personnelles qui permettront d’amener mon propos.

L’entreprise #

Depuis 6 ans dans une grande entreprise du CAC40, je constate que l’ambiance se tend là aussi. Une sorte de “révolte des faiseurs” contre les décideurs. Oui, moi et mes collègues qui connaissons un tant soit peu notre métier en avons assez. Assez de quoi ? De décisions venant “d’en haut”, incompréhensibles, dénuées de tout sens pratique. Prises par qui ? Par des “managers”, professionnels du remplissage de la feuille excel, du powerpoint et du sourire forcé envers leur propres “managers”. Cet empilement hiérarchique de chefs… jusqu’à atteindre Dieu, au sommet de sa tour qui ne voit plus la réalité mais une addition de transformations et interprétations de celle-ci à chaque étage. Ce “ventre mou”, pyramidal et totalement improductif, qui se permet de prendre des décisions alors que… les plus compétents pour les prendre (ces décisions) sont les faiseurs. Ceux qui sont au plus près de la réalité.

Oui, ce fameux “manager” fatigue, bride les équipes par son ingérance quotidienne. Il faut toujours se justifier, remplir un formulaire, évaluer le risque, etc… En un mot perdre son temps alors que l’important est là sous nos yeux, il suffirait de… faire, mesurer et réagir, vite. Pourquoi toutes ces tâches ingrates et inutiles ? Parce que le “manager” de ce type est attaché à son statut qui n’est aucunement basé sur la compétence mais sur le fait qu’il était là avant. Il doit donc agir tous les jours non pas pour la réussite de l’entreprise mais pour conserver son poste. Autant le dire tout de suite, la tactique est simple : éviter de dire la vérité du terrain, mettre la pression sur les équipes et truquer un peu plus ce tableau excel de reporting pour que vue d’en haut, la situation soit toujours bien propre et maîtrisée.

Le truc de dingue dans cette histoire, c’est que malgré les échecs cuisants de cette pyramide de “managers” old-school, les grands et vieux groupes y croient encore. Même si la plupart des projets sont en retard et majoritairement à côté de ce que veulent les clients, on continue. On ajoute même des “managers” pour contrôler encore et encore… là où justement, il faudrait lâcher prise et laisser la base faisante, faire, essayer, se tromper et ajuster.

De bien belles entreprises l’ont déjà compris. Entreprises libérées ou plus simplement donnant les quasi pleins pouvoirs aux salariés en investissant sur leurs compétences, elles sur-performent et proposent un cadre de travail épanouissant. Avec une forte proportion d’employés engagés qui abat le travail à vitesse grand V, en mode collaboratif. Je vous conseille vivement la vidéo d’Isaac Getz sur le sujet de l’engagement en entreprise. Quand je pense aux dizaines de milliers d’employés de certains grands groupes dont la motivation est égale à l’envie de mon garçon pour s’habiller le matin… pas étonnant que quelques startups viennent bousculer tout ce vieux monde (et bien avant les startups: FAVI de J-F Zobrist)

Le métier de manager ? Obsolète ? … On parle aujourd’hui plutôt de Leadership qui émerge naturellement au sein d’une équipe. D’ailleurs, il y a plusieurs leaders dans une équipe. Evidemment. Il y a Paul qui est expert sur tel sujet technique et que l’on écoute avec attention. Il y a Marie, super calée dans les séances de créativité pour réfléchir ensemble sur un problème et aboutir à une solution partagée. Bien entendu pour tout ce qui réseau, Nico sera tout indiqué, il connaît tout le monde avec sa bonne humeur légendaire. Selon le contexte, la casquette de leader change de tête, et ce d’une minute à l’autre, sans heurt au sein même de l’équipe.

Quelle est la particularité de ces leaders ? Ils ont une vision et ils FONT. Et ils sont respectés et suivis pour ça. #NoBullShit. Hommage en passant à des visionnaires comme J-F Zobrist qui résume assez bien cette tendance avec un discours musclé.

L’associatif #

J’ai été président pendant 4 ans d’une association assez conséquente (+ de 200 bénévoles) qui organise un grand événement culturel et festif (+ de 20 000 personnes) : Le Carnaval Biarnés. Ma réflexion sur l’engagement des personnes a commencé dès mes premiers jours “à la tête” de l’association. Pourquoi cette équipe me suivait-elle ? J’y ai souvent réfléchi. Je ne suis pas franchement brillant, ni vraiment doué de mes mains (voire dangereux avec un outil), ni enclin à soulever les foules avec des discours enflammés. Mais les bénévoles ont suivi, à fond. Au delà de mes plus grandes espérances. Sans compter leur temps et parfois leur souffrance physique. Pourquoi ? …

Peut-être en écho avec ce que je vivais en entreprise, j’ai voulu dès le départ FAIRE. Pas de domaine réservé. Pour personne. J’ai donc participé à la cuisine, monté des chapiteaux, approvisionné la buvette, nettoyé les toilettes sèches les lendemains matins de fête #Beurk… Et petit à petit mais très vite finalement, le jeune président a gagné en respect. Très engagé pour cet événement, je rabâchais sans cesse cette vision, ce but à atteindre qui nous dépassait tous :

Le Carnaval Biarnés est ouvert à tous, qu’on soit d’ici ou d’ailleurs, quel que soit le contenu de son porte-monnaie. Il est un lieu d’échange et de partage où l’on répare les coeurs.

Ce n’est que plusieurs mois après ma dernière saison que j’ai fait le lien avec le bouquin Tribal Leadership et d’autres lectures et screencasts (Notamment celle de Simon Sinek, Why leaders eat last ?). Un leader doit avoir une vision inspirante et doit montrer l’exemple en faisant. Ayant constitué une équipe dirigeante resserrée, auto-organisée et faisant totalement confiance aux compagnies (entités autonomes et responsables dans un domaine ou sur l’organisation d’une journée), mon principal travail a consisté à rencontrer les équipes et à leur demander si elles avaient besoin de moi pour débloquer tel ou tel sujet. Rien d’autre. Un manager ? Non. Une sorte de “super secrétaire” au service des équipes. Tout le travail et les décisions étaient prises au sein de ces petits groupes. Je n’étais là que pour donner un coup de main quand il fallait une autorisation ou autre tâche administrative lourde qui aurait ralenti l’équipe en question.

Les générations Y et Z #

Je suis né en 1977 (“Je me fais vieux” comme on dit chez moi) mais je pense que ma personnalité, mon métier (développeur) et mon appétit de toujours pour le Web m’ont glissé dans le wagon de la génération Y. C’est certainement pour cela que je me suis souvent senti très mal à l’aise au sein du monde de l’entreprise traditionnelle souvent avec une étiquette de “rebelle” ;)

J’aime beaucoup le discours d’Emmanuelle Duez qui met en évidence ce “conflit” entre les aspirations de cette génération Y et ce que proposent les entreprises traditionnelles. Ne parlons pas de la génération Z encore plus innovante qui est “entrepreneuse de sa vie” et dont les RH ne savent quoi faire. Pourquoi je parle de ça ? Car tout concorde : un changement de paradigme est en train de s’opérer, à tous les étages de la société que nos dirigeants (d’entreprise et politiques) ne peuvent saisir car ce changement est générationnel. Oui G-E-N-E-R-A-T-I-O-N-N-E-L, c’est à dire porté par les nouvelles générations.

“Ma” réflexion #

Peut-être trouverez-vous ma réflexion naïve ? Peu importe. Des discussions autour de moi et la convergence d’indices me confortent dans ce sens. Je suis évidemment prêt à échanger sur le sujet mais cette théorie me parle.

Le monde du “command and control”, du “je commande parce que j’ai un statut”, du “fais ce que je te dis de faire parce que c’est moi qui suis à la bonne place pour décider” est terminé. Tout le monde en a ras le bol que les décisions soient prises par des personnes déconnectées des réalités. Comme le dit si bien Frédéric Laloux (dont je vous encourage à regarder la conférence: partie 1, partie 2, partie 3 et partie 4), le monde est complexe. A l’image d’une forêt, ce sont les éléments constitutifs du système qui réagissent et s’adaptent à l’environnement changeant. Par itération, le système teste, essaie de nouvelles solutions, se trompe et réajuste en permanence pour finir par trouver une réponse adaptée : il n’y aura donc pas un monsieur je-sais-tout-providentiel mais une société civile, compétente, avec des leaders distribués qui prendra le bon chemin.

J’aime beaucoup le concept d’advice process expliqué par Frédéric Laloux et qui peut se résumer ainsi:

Quiconque au sein d’une organisation peut prendre une décision (quelle que soit son importance) si et seulement si les conditions suivantes sont réunies: 1. La décision va dans le sens de la vision partagée par tous les membres de l’organisation - 2. Le potentiel décideur a demandé conseil auprès des experts du domaine - 3. Le potentiel décideur a demandé l’avis des personnes pour les lesquelles la décision aura des conséquences

Je pense très sincèrement que, dans tous les domaines, c’est ce genre de processus qui est l’aspiration des jeunes générations. Une responsabilité et un pouvoir partagés dont l’attribution n’est plus basée sur l’appartenance à telle ou telle caste mais bien sur des compétences.

Et ce qui me rassure, c’est que ce changement de paradigme porté par nos jeunes semble être contaminant. Au contact de ces nouvelles formes de collaboration et de processus de décision, les générations antérieures qui ont subi le fameux command and control, s’approprient très rapidement cette nouvelle façon d’être et de penser collectif.

Et le politique dans tout ça ? #

Bon ben lui… il est complètement hors sujet. Pas de vision claire et inspirante et encore moins d’exemplarité. Attention, je ne parle pas d’exemplarité sur le côté éthique car c’est le minimum syndical (que peu de personnalités politiques atteignent cependant) mais d’exemplarité dans l’action. S’ils arrêtaient de dire et se mettaient à faire, vraiment…

Habitant dans la région paloise, c’est exactement ce que je reproche à François Bayrou. Sa crédibilité au niveau national et auprès des nouvelles générations aurait été de FAIRE à Pau. De faire de Pau une petite Barcelone des Pyrénées avec une identité forte et un tissu économique, associatif et culturel foisonnant. Bref, un exemple de ce qu’il aurait pu faire au niveau national. Une vision inspirante adossée à une identité pyrénéenne forte et générant des réussites concrètes, locales l’aurait propulsé vers un destin prometteur. Mais avant, il fallait définir cette vision et surtout, se retrousser les manches. Et ça c’est clairement trop long et fastidieux pour un politique d’ancienne génération, professionnel du système, expert dans l’art de passer à table pour tel ou tel poste. D’ailleurs, tous les candidats déclarés sont dans ce mode de pensée dépassé basé sur les promesses alors que seuls les faits parlent.

Une conclusion #

Je suis sincèrement optimiste pour l’avenir. Les politiques sont totalement dépassés et aucun n’a saisi l’enjeu mais ce changement dans l’air sera porté par la société civile et notamment par les jeunes générations qui ne respectent pas un statut ou une caste mais un engagement et des actes.

Pourquoi ce peuple est-il si imprévisible ? Car sa jeunesse est en train de prendre le pouvoir, et de belle façon (quoi qu’en disent les vieux cons) : sur des valeurs nobles et retrouvées: compétences plus que statut, collaboration plus que chacun pour soi, etc… Cette jeunesse est en train de prendre le pouvoir mais différemment. Pas par les voies traditionnelles en s’engageant dans des partis politiques mais en faisant. Et le monde bascule inexorablement dans le dos des politicards et médias old school. Sentez ce vent de fraîcheur… Respirez ! Ah tiens, bizarre… je viens de démissionner ! (je passe d’une bonne vieille structure inerte de + de 30 000 employés à une petite équipe ultra-motivée)