Nos amis les vers de terre


Il y a presque un an que j'ai été totalement fasciné par la lecture de ce bouquin.
J'ai rapidement perçu qu'il m'ouvrait une porte secrète vers un monde de connaissances assez peu connu en agronomie. Finalement, content d'avoir laissé poser ma petite cervelle car, depuis, j'ai consolidé tout ça par d'autres lectures et vidéos.

Charles Darwin a décrit, sa vie durant, les phénomènes majeurs qui régissent la nature, notre cadre de vie, et, parmi ceux-ci, l’activité des vers de terre dans nos milieux. Bien qu’il n’ait pu qu’en observer les conséquences à la surface du sol, il en pressentit toute l’importance et y consacra un livre prémonitoire qui fut négligé car leur activité souterraine restait à décrire et à mesurer.

L'auteur #

Marcel Bouché.
Sacré personnage, grand chercheur à la démarche scientifique si exigeante. Il a travaillé toute sa vie sur les lombriciens (vers de terre), ces organismes vivants si importants pour la vie sur Terre. Hautains et suffisants, de nombreux agronomes ont considéré ses travaux comme secondaires et peu dignes d'intérêt. Et pourtant...

Beaucoup de tendresse donc pour ce chercheur infatigable à l'opposé des agronomes de laboratoire "hors-sol". Marcel Bouché, lui, préfère les bottes et expérimente en conditions réelles. Un passionné qui met au point des techniques ultra-novatrices pour mesurer sans perturber et collecter des données absolument bluffantes.

Ce que j'ai appris... #

...dans ce livre #

Ci-dessous une petite collection de données brutes et mesurées qui permettent d'appréhender un tout petit peu l'ampleur de l'impact de nos chers vers de terre sur notre planète:

  • Ils constituent la 1ère masse animale de loin: 20 fois le poids des hommes ! Et sont sur Terre depuis des centaines de millions d'années (Anélides)
  • En France, en moyenne, il y en a environ 1,2 tonne par hectare
  • Ils creusent 4000 km de galeries par hectare. Oui, 4000 ! Soit 400m sous un seul m2 de votre pelouse. Et encore, cette mesure ne comptabilise pas les galeries dont le diamètre est inférieur à 2 mm.
  • Leurs galeries multiplient la surface d'échange par 5 ! Ce qui signifie que lorsque vous avez 1 m2 de pelouse qui échange avec l'air, en fait, vous avez 5 m2 de surface d'échange.
  • Ces galeries permettent d'améliorer la capacité de percolation d'un facteur 30 ! Concrètement ? Un sol vivant, c'est à dire à l'activité biologique développée avec des vers de terre y prenant toute leur place, permet d'absorber... attention, accrochez-vous : 160 L/heure/m2, soit 160 mm de pluie par heure ! Fabuleux ! Comparés aux 5 à 7 mm par heure pour les sols sans vie...
  • Les vers de terre retournent, ingèrent et fertilisent 300 tonnes de terre par hectare par an. Travail d'ingestion phénoménal produisant du lombrimix (Matière organique et minérale sortie du tube digestif d'un lombric), élément absolument central pour les micro-organismes et donc les cycles de l'azote, phosphore, potassium...
  • Ils sont classés selon trois catégories écologiques:
    • les épigés qui vivent principalement à la surface du sol dans la litière de feuilles. Ils sont petits, fins et rouge vif.
    • les endogés, moins visibles car ils se déplacent horizontalement. Sans pigments.
    • les anéciques, grands vers dont les galeries verticales peuvent atteindre plusieurs mètres. Ils viennent chercher de la matière organique en surface (brindilles, feuilles mortes, etc...) pour les tracter dans leurs galeries afin de les ingérer.

...et ailleurs #

J'ai finalement compris l'état des connaissances sur le cycle de l'azote, composant indispensable à la croissance des plantes. Au final, le ver de terre est un des éléments fondamentaux de ce cycle naturel durable depuis des millions d'années:

  • les matières organiques (feuilles, branches, etc...) tombent au sol
  • elles sont attaquées par les champignons (pour la lignigne) et la pédo-faune
  • Les vers de terre, par leur digestion permanente de la terre et de sa matière organique, participent à la création de l'humus dont les multiples qualités amenderont le sol.
  • le mucus des vers de terre contient des nutriments pour les bactéries fixatrices d'azote qui produisent au final de l'azote directement assimilable par les plantes (nitrates)
  • les galeries des vers de terre permettent aux racines de se déployer et de cotoyer ces vers de terre. Au contact du mucus, elle prennent leur dose régulière d'azote.
  • il faut de l'oxygène aux bactéries fixatrices d'azote... apporté par les galeries des vers de terre (encore eux !)
  • la formation de l'humus permet une minéralisation lente et donc une diffusion des minéraux totalement adaptée aux plantes
  • ce taux de MO (Matière Organique) élevé permet de stocker l'eau et donc de résister aux sécheresses...

La conclusion de tout ce cycle (simplifié) ? C'est que la culture sur sol vivant permet de s'affranchir de l'apport d'engrais. Considérer le sol comme une entité complexe (et pas seulement un support pour y injecter du N, P, K), permet de diffuser lentement une quantité de minéraux très importante mais de façon progressive et donc assimilable intégralement par les plantes. C'est bien fait hein ? Et ce mécanisme n'a aucun impact sur les nappes phréatiques. Scotché le Peio.

Bon et si on laissait parler le patron ? 😄

La suite ? #

Me concernant, tout se simplifie. Le compost c'est bien mais c'est compliqué à faire et en plus de flinguer le potentiel de germination des adventices (ce qu'on recherche), la chauffe tue tous les micro-organismes et minéralise tout... (et ça, c'est pas top du tout). Le compost reste donc un bon booster pour les plantes mais ne participe pas à l'amélioration d'un sol dans la durée.

Alors que finalement, il "suffit" de déposer au sol cette matière organique comme ce qui se passe en forêt pour que la magie opère. Bien entendu, il y a la faim d'azote qui apparaît inévitablement (les micro-organismes ont besoin d'azote pour décomposer la MO) mais c'est temporaire comme l'explique François Mullet, précurseur du MSV (Maraîchage sur Sol Vivant) dont les vidéos sur Ver de Terre Prod sont souvent très enrichissantes.

François Mullet propose ci-dessous une vidéo très instructive sur l'Écologie des vers de terre & reconstruction de la fertilité des sols. Il y présente la solution d'apport massif d'intrants de matière organique. L'idéal étant d'apporter du ligneux genre BRF ou broyat végétal qu'on trouve dans les plateformes de gestion des déchets verts.

La clé de tout ça ? Faire un apport massif de matière organique (MO) sur le sol et particulièrement de la matière ligneuse pour monter le taux de MO et enclencher la remise en route de la vie du sol. Les vers de terre reviennent ainsi en masse (on peut faire un x10 sur une année s'ils ont de quoi manger !) et commencent leur travail incroyable. L'humus revient, permettant une minéralisation lente bénéfique aux plantes et retenant l'eau (qui à dit qu'on allait vers de graves sécheresse ?...). L'idée est de reproduire le mécanisme naturel mais de l'amplifier avec cet apport massif afin d'accélérer la création de sol fertile

Les mains dans le cambouis #

J'ai donc contacté Loreki à Lescar et j'ai fait venir grâce à Régis, un copain paysan (que je remercie ! 🙏🏻) une remorque de broyat végétal : 18 m3, soit environ 9 tonnes. Le voici à l'oeuvre:

(Vous remarquerez que j'avais déjà apporté plus de 30 brouettes de feuilles (Tilleul) avec mes enfants en guise d'apéritif pour mes désormais copains vers de terre)

Et après "un peu" de manutention, ça donne ça:

Avec au final:

  • 5 cm de feuilles mortes
  • 15 cm de broyat végétal
  • 10 cm de paille

La couche de paille réalisant 2 fonctions:

  • coupe la lumière pour éviter que ne poussent des adventices qui pourraient traverser le broyat
  • amende aussi le sol puisque contenant de la cellulose

⚠️ les amendements ne doivent PAS être enfouis ! Le processus de décomposition est aérobie donc tout doit rester en surface... comme en forêt. Idéalement, ce couvert végétal doit être installé à l'automne. L'activité biologique montera en flèche aux premières douceurs du printemps.

Pour ceux qui seraient "inquiets" de voir autant d'apport d'un coup: keep 🆒, j'ai placé ça sur une zone de culture qui sera "mise en service" au printemps 2023 ! La faim d'azote sera passée et vu l'état du sol de départ (déjà très bon, j'ai une chance de dingo), je me prends à rêver que les vers de terre et autres copains de la pédo-faune se seront mis à construire des HLM ! 😂

Je me souviens... #

Je me rends compte à quel point j'avais sous les yeux, au sein même de ma famille, une attention particulière pour ces animaux souvent considérés comme "insignifiants".

Je pense beaucoup à mon Pépé, institueur arrivé à Billère depuis sa campagne Salisienne connu pour son jardin luxuriant - souvent comparé à une cathédrale - dans son modeste lotissement. Son obsession était de nourrir sa terre: tontes, feuilles mortes (j'allais en chercher au bord du golf avec lui, j'en prends conscience aujourd'hui), broyats. Il les vénérait ces vers de terre, bien conscient de l'importance capitale qu'ils avaient sous ses pieds. Il m'expliquait qu'"il ne fallait surtout pas les blesser."

Petit clin d'oeil pour mon Papa 😘, lui aussi instituteur, qui avait instauré à la récré, les jours de pluie, le ramassage des talòssas ("vers de terre" en Occitan). La cour de récré de ses petite et moyenne sections de maternelle était en partie goudronnée et de nombreux vers s'y aventuraient. Le but pour les tout-petits ? Sauver le maximum de talòssas en les saisissant délicatement, en montrant le trophée à Jaquèish puis en les déposant dans la partie enherbée.

Conclusion #

Alors nos amis, les vers de terre ? ...je dirais plutôt qu'ils pourraient être, avec les arbres, nos sauveurs.